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21 septembre 2011 3 21 /09 /septembre /2011 06:32

TGV_929.jpgÀ la veille des 30 ans du TGV, nous avons retrouvé celui qui l'avait dessiné en moins d'une heure. Et c'est à Bordeaux qu'il monta pour la première fois à bord.

C'était il y a tout juste trente ans, le 22 septembre 1981, à la gare de Lyon. Frais émoulu des urnes, le président Mitterrand inaugurait alors le TGV (1) sous l'œil de celui qui l'avait inventé d'un coup de crayon treize ans plus tôt. Pourtant, demain, Jacques Cooper ne soufflera pas les 30 bougies du train toujours le plus rapide au monde. « Pas invité. Mais que voulez-vous, tout le monde me croit mort… »

C'est en pleine forme que nous avons retrouvé le vieil homme de 80 ans dans son pavillon de Suresnes, en banlieue parisienne. Quelque part entre ses croquis, ses maquettes d'époque, ses petits trains électriques et les souvenirs d'une carrière hors norme.

« Sud Ouest ». En 1968, après avoir, entre autres, conçu des réfrigérateurs pour Arthur Martin, des tracteurs agricoles et des Porsche, voilà que l'on vous demande soudainement de dessiner « un train qui ne ressemble pas à un train »…

Jacques Cooper. Je m'occupais à l'époque de dessiner pour Heuliez des dérivés de voitures de sport, lorsqu'un responsable d'Alsthom m'a fait cette drôle de proposition. Ce type était un passionné d'automobile, il a simplement ajouté que je devrais intégrer une notion de grande vitesse - 300 km/h - à mon design.

Moi, depuis tout gamin, j'aimais dessiner des trains. Alors je suis rentré chez moi, je m'y suis mis, et l'idée est venue dans l'heure qui a suivi. Finalement, je n'ai rien fait d'autre qu'extrapoler les lignes de la Porsche sur laquelle j'étais en train de travailler. Voilà pourquoi le TGV 001 avait un nez de voiture.

Une heure pour ses courbes, mais combien de temps avant d'oser cette curieuse teinte orange ?

C'était une couleur à la mode dans ces années-là. Et puis, toutes les autres y étaient déjà passées, à la SNCF. Alors j'ai tenté le coup en réalisant six croquis de quatre couleurs différentes : bleu, vert, noir et, donc, orange. Lorsque j'ai punaisé mes dessins au mur d'une grande salle, le directeur d'Alsthom m'a demandé de choisir à sa place. Et je ne me suis pas dégonflé. Seuls les plus anciens ont un peu fait la moue.

À l'époque, j'avais une trentaine d'années, et ceux-là avaient déjà été traumatisés par le passage de la vapeur à l'électricité. Tout en me disant que le TGV était beau, ils m'assuraient qu'il ne verrait jamais le jour. J'ai d'ailleurs longtemps redouté que la SNCF abandonne le projet.

D'autant que l'aménagement intérieur n'aura pas vraiment été une partie de plaisir ?

C'était affreusement compliqué. J'ai dû revoir ma copie 37 fois. Je devais m'occuper de tout : du tissu des sièges jusqu'à la couleur de la moquette. Et tout le monde avait son avis sur tout. À l'époque, l'ambiance n'était pas bonne. Les gens prenaient de moins en moins les trains, qui étaient dépassés, et la SNCF devait absolument sortir de l'impasse pour éviter la faillite. L'un des patrons me répétait sans cesse : « Jacques, il faut que ça marche. »

Mais, en 1972, après quatre années de tractations et de perfectionnement, vous montez enfin à bord de votre TGV à Bordeaux…

Enfin, oui. Mon croquis avait pris forme, et je grimpais pour la première fois à bord du poste de conduite en gare de Bordeaux-Saint-Jean. J'y suis revenu chaque semaine, ou presque, pendant la campagne d'essais de vitesse. On allait jusqu'à Morcenx, puisque la ligne des Landes était en effet la seule en France à nous offrir un long tracé sans courbes, ni dénivelés.

C'est là que le prototype 001, qui fonctionnait avec des turbines à gaz, a discrètement battu ses premiers records. 312, puis le fameux 318 km/h. Enfin, pas franchement discrètement, puisque avec ses 8 000 CV, la rame partait comme une fusée. Il paraît que, dehors, les gens se sont affolés à cause de ce vacarme épouvantable.

Si vos TGV roulent encore aujourd'hui, que pensez-vous des nouvelles rames construites depuis par Alstom à La Rochelle ?

Le TGV Duplex est une bonne évolution, mais les Japonais sont, à mon avis, désormais meilleurs en termes de design. En revanche, je n'aime pas l'AGV, ni ces nouvelles motrices qui ressemblent à des saucisses sur des bogies. Leurs formes sont trop molles. Entre rond et mou, il y a une différence. Pareil pour l'ICE allemand, cette motte de beurre qui roule. D'un point de vue aérodynamique, c'est justifiable, mais je préférerais que l'on revienne à ce mélange de souplesse et de lignes acérées qu'offrait le premier TGV. Sauf que l'on fait aujourd'hui les trains avec les mêmes logiciels, et qu'ils se ressemblent tous, comme les voitures. Mon TGV avait du style. Et le style, contrairement à la mode, ça dure.

Pour ces glorieux services rendus, Alsthom et la SNCF n'ont rien trouvé mieux que de vous mettre à quai avant l'heure de la retraite…

Licenciement économique en 1987, oui. J'étais devenu un vieux. Il a fallu les emmener aux prud'hommes pour leur faire cracher ce qu'ils me devaient. Une belle reconnaissance. Depuis, je n'ai pas dessiné un seul train, seulement quelques paysages ou portraits lorsque mes mains ne me font pas trop souffrir.

Avez-vous encore souvent l'occasion de prendre le TGV ?

Disons que la dernière fois, c'était en… 1988. Entre Paris et Bordeaux, lors de l'inauguration de ce TGV Atlantique que j'avais commencé à dessiner avant d'être mis à la porte.

Mais si ce n'est pas dans le poste de conduite, monter à bord du TGV en tant que voyageur ne m'intéresse pas.

(1) C'est à cette occasion que François Mitterrand annoncera le projet TGV Atlantique.

Le Sud Ouest
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