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14 février 2011 1 14 /02 /février /2011 06:25

Loin d'appartenir au passé, l'industrie ferroviaire connaît une nouvelle jeunesse. Le rail répond à tous ces défis, qui autorise le transport rapide et écologique de flux massifs de population et de biens, y compris au coeur des mégalopoles. D'où la multiplication des projets de métros, de tramways, de lignes à grande vitesse - de la Russie à la Californie en passant par le Brésil, le Maroc ou l'Arabie saoudite. La seule Chine construit 52 métros et investit 100 milliards de dollars par an dans son système ferroviaire, notamment pour créer un réseau de 16 000 kilomètres à très grande vitesse (380 km/h, contre 320 en France).

La France, qui disposait d'un leadership technologique dans l'industrie ferroviaire, est en passe de perdre la bataille du rail du XXIe siècle. Sur le plan économique, la croissance de l'activité se concentre dans les grandes agglomérations (+ 40 %), tandis que les clients du TGV stagnent et que le fret s'effondre du fait de son manque de fiabilité, qui a porté les parts de marché de la route à 85 %. Sur le plan opérationnel, les prix montent avec les péages pour une qualité de service qui s'effondre au rythme de la baisse de la ponctualité : 90 % pour les Transiliens et les TER, 80 % pour les TGV et les trains Corail. Sur le plan financier, la dette ferroviaire culmine, fin 2010, à 28 milliards d'euros pour RFF et à 9,5 milliards pour la SNCF. Sur le plan international, les offres françaises sont marginalisées dans les projets de lignes à grande vitesse et de dessertes ferroviaires des grandes agglomérations ; dans le même temps, Alstom enregistre une succession d'échecs face à Siemens, dont celui du marché des Eurostar, qui est à la fois symbolique et logique puisque le train allemand accueille davantage de voyageurs avec un meilleur confort pour un prix inférieur.

Faute de changements radicaux, le risque d'accidents majeurs est très élevé. La seule SNCF transporte quotidiennement 6 millions de passagers, dont 550 000 sur la ligne D du RER, 450 000 sur la ligne C, 350 000 sur l'ensemble du réseau TGV. Or l'infrastructure ferroviaire est saturée et sinistrée, la moitié des aiguillages datant par exemple des années 40, tandis que les dépenses d'entretien ont baissé de 20 % en vingt ans. Déjà, le nombre d'accidents connaît une forte hausse : 0,33 par million de trains-kilomètre en 2009, contre 0,24 en 2006. Le rail français aborde ainsi la décennie 2010 dans la situation du système britannique au seuil des années 2000, qui provoqua la catastrophe de Hatfield. Une dérégulation anarchique a éclaté les responsabilités en matière de sécurité entre les instances européennes, l'Araf, l'EPSF, RFF et les opérateurs. Or il en va du fer comme de la finance : quand chacun assure la responsabilité de son périmètre sans superviseur, le système court au krach.

Ce Sedan ferroviaire est exemplaire du mal français. Du côté de la SNCF, la gréviculture tue le fret ferroviaire comme nos ports ; elle va de pair avec la faiblesse des gains de productivité (2 % par an), qui contraste avec la hausse des rémunérations (plus de 3 % par an). Du côté d'Alstom a prévalu une culture d'arsenal associée à la garantie de marchés protégés. Mais la responsabilité première incombe aux pouvoirs publics. La libéralisation a fait l'impasse sur la nécessaire cohérence du système ferroviaire. En dépit de 10 milliards d'euros de concours publics par an, le renouvellement et l'entretien du réseau ont été négligés. La culture du tout-TGV, dont le corollaire est l'abandon de l'urbain et du fret, a été accentuée par le Grenelle de l'environnement, qui a prévu la construction de 2 000 kilomètres de nouvelles voies à grande vitesse d'ici à 2020, puis de 2 500 kilomètres supplémentaires, soit un investissement de 100 milliards d'euros dans des lignes lourdement déficitaires. La seule LGV Est mobilise ainsi 3,5 milliards d'euros pour gagner un quart d'heure sur Paris-Strasbourg, ce qui suffirait à changer la totalité du matériel roulant (qui a plus de 20 ans d'âge en moyenne) ou des bus d'Ile-de-France, permettant d'améliorer la vie de millions de personnes.

Six priorités émergent. Repenser une architecture de sécurité fondée sur un garant en dernier ressort. Effectuer la reprise de la dette ferroviaire par l'Etat, comme l'Allemagne en 1994, en contrepartie de la mise en extinction du statut et du régime spécial des cheminots. Décider un moratoire sur les nouvelles lignes à grande vitesse et affecter les investissements au renouvellement de la partie efficace du réseau (11 000 kilomètres sur 29 800 voient passer moins de vingt trains par jour) et à son entretien (111 000 euros par kilomètre, contre 137 000 en Allemagne). Réinvestir massivement dans le transport ferroviaire urbain et dans un fret performant. Evoluer vers la vérité des prix en sortant du modèle associant un prix minime à une qualité de service indigente. Réorganiser la filière ferroviaire en privilégiant l'innovation au lieu des protections. Fernand Braudel soutenait que " la France, c'est l'école obligatoire, plus le chemin de fer ". La France a déjà perdu son école, elle doit sauver son chemin de fer.

Le Point

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