Entre Montmoreau et Cenon, Réseau ferré de France pilote le plus grand chantier de modernisation de ligne de l'Hexagone 570 ouvriers s'affairent dans la nuit Ces travaux s'achèvent en juin.
C'est une ambiance digne d'une scène de «Mad Max». Au coeur de la nuit humide, des dizaines de forçats du rail aux gestes précis ont des airs d'abeilles détrempées dans une ruche bourdonnante. Ils sont parfois jusqu'à 570 à travailler en même temps. Tout le monde s'active au rythme cadencé d'une locomotive de plusieurs centaines de mètres, véritable usine mouvante. Le vacarme est infernal: des pièces métalliques s'entrechoquent, des traverses en béton monstrueuses se promènent sur les tapis roulants, le son assourdissant d'un klaxon retentit avant chaque mouvement de l'ensemble et fait sursauter les non-initiés, un wagon vomit des tonnes de ballast... Il est 3 heures dans la nuit de lundi à mardi. Commune des Églisottes, à mi-chemin entre Angoulême et Bordeaux, à un saut de puce de Coutras, Saint-Aigulin et La Roche-Chalais.
«Plus qu'un mois et c'est fini.» Sous son casque blanc, Romain, 22 ans, esquisse un sourire. Depuis janvier, le jeune «poseur de voie» employé par la société Colas Rail est l'une des petites mains du «plus grand chantier de modernisation ferroviaire de l'année 2012» - la formule est de Réseau ferré de France (RFF) (1). «Fier» de participer à l'aventure du renouvellement de ligne Montmoreau-Bordeaux qui s'achève dans un mois, mais harassé. La pluie de ces derniers jours rend la tâche plus pénible, mais il ne se plaint pas.
À distance, Pascal Petel, directeur régional adjoint de RFF, abuse des superlatifs. «C'est le chantier le plus important de l'Hexagone par sa dimension, le plus conséquent par le nombre d'intervenants, le plus considérable par la durée.» Une grosse machinerie rodée et réglée comme du papier à musique. «On change un kilomètre de voie chaque nuit. Les rails posés et soudés entre eux mesurent 324 mètres», précise Bruno de Monvallier, directeur régional de RFF. Pourquoi un chantier nocturne? «Pour minimiser l'impact sur la circulation, répond-il. 180 trains roulent chaque jour entre Montmoreau et Cenon. Ils ne sont qu'une vingtaine à passer par ici durant la nuit [2].»
La future LGV
Pourquoi mobiliser autant de moyens sur cette ligne quand, de l'aveu même de RFF, c'est l'ensemble du réseau national qui mérite d'être renouvelé? «Parce qu'on se trouve ici sur le parcours de la future ligne LGV entre Tours et Bordeaux, argumente Pascal Petel. À partir de 2013, cela va entraîner une énorme activité dans ce secteur. Assurer des travaux de maintenance ici et maintenant, c'est se débarrasser de ce tronçon pour ne plus y revenir avant longtemps.»
Pratiquement couché dans sa cabine minuscule, au beau milieu de la locomotive infernale qui s'approche de la gare des Églisottes, Yoann, l'un des pilotes, n'a pas conscience du caractère exceptionnel de sa tâche. «Je fais ce boulot depuis des années. J'ai l'habitude. Il n'y a rien de différent.» Les hommes occupés un peu plus loin à desserrer en cadence les boulons de la vieille voie ferrée sont sur la même ligne. «Un chantier, c'est un chantier», élude l'un d'eux. «En Poitou-Charentes, en Aquitaine, dans le Nord, dans l'Est, c'est pareil. On est dans quel département là?», interroge un autre. Seule l'équipe de soudeurs qui assemblent les rails selon l'impressionnant procédé dit «alumino-thermique» (à 850 degrés) a le sentiment d'accomplir une mission particulière sur un chantier hors norme. «On réalise une douzaine de soudures par nuit, glisse l'un d'eux. C'est la partie artistique de notre travail.»
(1) RFF assure la maîtrise d'ouvrage. La SNCF est mandataire de maîtrise d'ouvrage et maître d'oeuvre. Colas Rail est l'une des entreprises intervenantes.
(2) Le chantier de renouvellement de voie entraîne des limitations temporaires de vitesse. Cela engendre 15 minutes de temps de parcours supplémentaire estime RFF.
La Charente Libre